La Feuille d'Acanthe





La feuille d'acanthe a fourni aux décorateurs l'ornement le plus riche et le plus noble de notre histoire. On sait que c'est d'après elle que le sculpteur athénien Gallimaque a composé le chapiteau corinthien et comment Vitruve raconte cette ingénieuse découverte.
Partout présente en ornementation, elle reste néanmoins un mystère pour beaucoup.

L'acanthe est une plante qui perd ses feuilles à l'automne et revit au printemps. Elle croît dans tout le bassin méditerranéen, et se plaît à l'ombre des arbres et des murs. Trois espèces parmi les douze recensées nous intéressent ; ce sont l'acanthe molle, l'acanthe frisée et l'acanthe épineuse. L'acanthe épineuse et l'acanthe frisée ne s'illustrent que dans l'antiquité et au moyen-âge alors que l'acanthe molle s'impose dans presque tous les styles français.

En examinant une feuille naturelle, nous sommes frappés de voir l'imagination féconde de nos ancêtres. Sa transcription ornementale si riche, si élégante, l'éloigne de sa forme originelle au point qu'au XVIIème siècle, elle s'en détache complètement en s'adonnant aux voluptés du baroque.

La sculpture d'une feuille d'acanthe suit toujours le même cheminement. Dans un premier temps, l'artiste recherche les volumes enveloppants en tenant compte de toutes les saillies. Les plans principaux déterminés avec, bien sûr, une marge de sécurité, les contours des masses principales sont dessinés au crayon, directement sur le bois. Les nervures sont indiquées par l'intersection des plans ou par un coup de gouge. On obtient ainsi un dessin identique à celui de la partie supérieure de la fig. 2.





L
a taille continue par la mise en place presque définitive des nervures qui déterminent la profondeur et la direction des feuilles.

Puis les masses principales sont détourées en gros jusqu'aux yeux. Le sculpteur s'applique alors à déterminer leur volume avec les gouges creuses et méplates en suivant la direction des nervures.
On remarquera que les plis des feuilles sont légèrement coniques et non parallèles afin de leur redonner une harmonie naturelle.
Les petits refends et les yeux ne sont exécutés qu'après la mise en place définitive des volumes.




La Stylisation



La découpe de la feuille d'acanthe évolue selon les styles. Dans l'Antiquité grecque et romaine, elle reproduit d'abord de façon très fidèle celle des feuilles au naturel (fig. 1) puis évolue vers des formes plus fantaisistes (fig. 2, 3, 4, 5).
Le style roman affectionne l'acanthe épineuse qui disparaît à l'époque gothique.
Il faut attendre la Renaissance pour que l'acanthe retrouve sa gloire d'antan. Elle domine alors l'ornementation avec trois découpes.
La première (fig. 2) est allongée, les dents prennent l'allure de flammes.
La seconde (fig. 3) est plus massive, mais cette différence est compensée par des refends plus prononcés.
Enfin la troisième (fig. 4), qui est la copie d'une forme appréciée pendant la période de la Grèce classique, est plus équilibrée. Elle s'agrémente de nombreuses nervures qui lui donnent une structure plus forte. La découpe des dents est ogivale.






A
u début du XVIIème siècle, les volumes deviennent plus grossiers. L'acanthe s'aplatit. Pour compenser cette pauvreté, la surface des feuilles est agrémentée de fines cannelures appelées "coups de brettés" en sculpture sur bois et "galbes" en terme de dorure (fig. 5).
A la fin du XVIIème siècle, elle s'éloigne de son aspect naturel pour se plier aux caprices des ornemanistes. La feuille stylisée s'amincit, sa découpe devient plus profonde. Le profil des lobes et des dents s'inscrit dans des rectangles. Autre nouveauté : elle se termine par des enroulements. Les coups de brettés se font moins profonds et de largeur différente. Ils prennent naissance à l'arête principale en se groupant en fuseaux ouverts sur l'extérieur. Noter que, quelle que soit l'époque, les cannelures s'arrêtent toujours un peu en retrait de la découpe des dents, ceci pour ne pas nuire à la compréhension des formes vues de trois quarts (fig. 6 et 7).






Elle conserve cette ordonnance pendant la première moitié du XVIIIème siècle en reprenant les découpes ogivales de la Grèce classique. Les coups de brettés disparaissent face aux volumes souples et gras qui requièrent plus d'habileté pour ne pas tomber dans une certaine mollesse.

Au XIXème siècle, les sculpteurs de l'ancien régime continuent quelques temps la tradition du style Louis XVI puis poussés par le nouveau courant, se tournent vers une forme inspirée de l'acanthe épineuse (fig. 9). Les volumes ronds et souples disparaissent faisant place à une succession de plans inclinés creusés dans l'épaisseur de la feuille. Seul le pourtour de la découpe apparaît en saillie sur le même niveau.








La seconde moitié du XIXème siècle qui voit triompher le pastiche de tous les styles révolus, n'apporte rien de nouveau dans la découpe des feuilles d'acanthe. Les sculpteurs spécialisés par ornements s'attachent à produire des oeuvres techniquement parfaites. L'acanthe perd au passage toute sa fraîcheur naturelle.

Et ceci pour deux raisons :

La première est que, cherchant à gagner du temps, l'ouvrier sculpteur s'éloigna de la technique de ses ancêtres en commençant la taille par les contours, au lieu de débuter en incisant au burin les nervures et les plis de la feuille. Il se servit, à cet effet, d'un calque pour reporter le dessin sur le bois. La frappe des contours était réalisée avec deux ou trois outils, toujours par souci d'économie. La répétition abusive de la même courbe offrait une sensation d'égalité et de raideur. Le praticien se débrouillait ensuite pour tailler ses nervures entre les points fixes qu'il s'était imposés : la base de la feuille et la pointe des lobes, alors que jusqu'au XVIIIème siècle le sculpteur commençait toujours une feuille en indiquant d'abord la nervure centrale, puis les secondaires, puis les grandes masses et enfin les petits refends avec son burin. Cet outil, au profil du biseau en V, est poussé horizontalement presque dans le bois et dessine toutes les courbes désirées. A l'opposé, la courbe obtenue par une gouge frappée verticalement est immuable, à moins que l'on change d'outil. La trace est également plus nette.
En conclusion, le burin offre une sculpture plus naturelle, mais plus difficile également.

La seconde vient des modèles utilisés. Jusqu'à la Renaissance, les sculpteurs se guidaient d'après des éléments naturels familiers. Au XIXème siècle, les pasticheurs travaillèrent d'après des formes déjà transcrites dans le bois et les modifièrent en les simplifiant.




Les Ordonnances



Fig. 1 : palmette
Renaissance



La feuille d'acanthe se plie de différentes manières aux caprices de l'ornementation : en palmettes, en rinceaux, en cornes d'abondance, en crossettes ou encore en culots.
La plus simple est la présentation en palmette. Elle s'inspire d'une feuille naturelle posée à plat. Le lobe supérieur qui termine la feuille se retourne souvent formant une "tête" (fig. 3). Notons également la forme très caractéristique des palmettes d'acanthe de la Renaissance qui sont directement issues non d'une feuille, mais du pied de la plante (fig. 1).




S'éloignant de la nature, les ornemanistes créèrent des ordonnances plus fantaisistes, comme les rinceaux et les crossettes mais ce sont les culots qui offrent le plus de variétés. S'inspirant à l'origine d'un pied d'acanthe, ils s'en éloignent pour obtenir des motifs légers et différents. Placés aux intersections du décor, ils sont employés pour raccorder entre eux les rinceaux ou servent de points culminants dans les compositions.

Les lettres donnent naissance dans de nombreux blasons et devises à des monogrammes. Saisissant ce prétexte, les ornemanistes enroulèrent les feuilles sur elles-mêmes et les redécoupèrent pour les plier aux caprices de l'écriture. Cette présentation qui fut mise à la mode à la Renaissance subsista jusqu'au XIXème siècle. Mais l'abondance de la feuille d'acanthe ne doit pas masquer les autres ornements végétaux qui furent employés de façon sporadique.

Au Moyen-Age où les motifs de l'Antiquité sont quelque peu oubliés, l'acanthe disparaît au profit des plantes indigènes. Des feuilles de plantain, de renoncule, d'armoise, etc. prolifèrent dans les décors. Ces plantes médicinales bien connues de nos ancêtres habillent chapiteaux, tympans, claustras et meubles pendant près de cinq siècles pour à leur tour disparaître pendant la Renaissance.

La domination de l'acanthe recommence alors jusqu'à la fin du XVIIIème siècle. Elle est accompagnée quelques fois de plantes comme les joncs, au naturel en bouquets ou noués, et de rameaux d'olivier, de chêne ou de laurier. Au milieu du XVIIIème siècle, le goût de l'exotisme transparaît avec la reproduction de rameaux d'oranger, de citronnier et de fruits comme la grenade. Il faut patienter jusqu'à la fin du XIXème siècle pour que cette gamme se renouvelle avec les branches de roseau, de bambou et de lilas mis à l'honneur par le style 1900.













Les Culots









Bibliographie


"Sculptures sur Bois"
Techniques Traditionnelles et Modernes

Gilles Perrault
Editions H. Vial - Février 1991